Le griot dakarois qui a accompagné les pionniers du hip-hop sénégalais a fait voyager sa kora dans le monde entier. Invité par les plus grands, c’est lui qui convie ses compagnons de route dans un album qui lui ressemble : noumoukan wilila.
Noumoucounda est à sa manière un prototype. Celui d’un griot urbain nouvelle génération, pétri de tradition mandingue mais né dans une grande ville, Dakar, les oreilles tournées vers le futur. Fils d’une Kouyaté et d’un Cissokho, il ne pouvait que devenir djeli, et ses parents s’employèrent comme il se doit à lui transmettre leurs connaissances en la matière. Mais l’enfant, peu intéressé par l’école, est d’une insatiable curiosité musicale. C’est lui qui demande à son père de l’envoyer au conservatoire, où l’on étudie aussi la musique à la manière des blancs. S’il est assidu, il apprend à l’oreille, et se frotte aux autres musiques : « c’est là que beaucoup de musiques me sont entrées dans la tête, ce qui m’a permis d’acquérir une autre touche qui n’a rien à voir avec la musique traditionnelle » explique-t-il aujourd’hui. Il sort du conservatoire diplômé de percussions et de kora, et se fait enrôler dans l’orchestre national du Sénégal. Sur les traces de son grand frère Kaonding Cissoko, il veut pouvoir tout jouer avec sa kora : du jazz, du blues, du reggae… persuadé que le de l’instrument peut s’exercer dans toutes les musiques. « Mon père, se souvient-il, m’a donné l’amour de cet instrument qui est une comme une femme qui t’apaise, te donne de l’amour et te fait oublier tous tes soucis ». Au début des années 90, il ne sait pas encore qu’il va tomber amoureux d’un son nouveau, dont le Sénégal vient d’accoucher, le hip-hop. Il découvre les Positive Black Soul, pionniers du genre sur le continent. Son grand frère avait joué de la kora sur leur premier EP, Boul Falé.
« Et moi je vois ces gars, ces rappeurs, engagés politiquement, mais dignes, qui n’insultent pas les gens mais qui dénoncent les problèmes, et moi je me dis : ça va avec ma kora !! ». Avec Didier Awadi, le courant passe tout de suite. Il enregistre avec les PBS l’album Salaam (1995) et devient le compagnon d’une aventure qui marquera l’histoire du hip-hop. « Avec les percus sabar tama et la kora, PBS voulait montrer ça en Europe et en Amérique, cette touche qui les différenciait des rappeurs français ou américains. » Une touche qui est aussi celle de Noumoucounda, dont les instruments traditionnels deviennent une marque de fabrique du son du groupe. Elle est d’ailleurs à ce point remarquée que d’autres artistes veulent en profiter. À commencer par MC Solaar, dont le PBS avait fait la première partie dès 1992, et qui appellera « Noumou » pour jouer sur son tire Hijo de Africa.
Des rencontres « Formidables »
Noumoucounda devient de plus en plus sollicité, invité sur les disques des autres. C’est d’autant plus vrai qu’au début des années 2000, les chemins des membres du PBS se séparent. Outre Solaar, il enregistre aussi avec Alpha Blondy, remplace son grand frère Kaoding pour une grande tournée avec Ernest Ranglin (qui avait enregistré son disque in search of the lost Riddim où figurent ses frères et Baba Maal). Le rêve qu’il avait gamin se réalise : sa kora voyage partout, et se frotte à toutes les musiques.
Un jour qu’il est à Dakar, Awadi l’appelle pour lui dire qu’il a un chanteur étranger dans son studio, et qu’on a besoin de lui. Ce jour-là, Noumou est dans dèche, il n’a pas un sou en poche. Et puis, il ne connaît pas ce jeune artiste. Alors il demande « mais il y “a des sous quand même ? ». Le voici au studio Sankara :
« Je vois le jeune homme avec ses ordis, il fait ses trucs, des sons bizarres… moi je commence à mettre des voix, le gars était content ! et il se met à écrire… chacun faisait ses délires, moi je lui donnais des vibes… Et puis il m’a sorti d’autres sons, et j’ai mis la kora vite fait ». Les deux musiciens sympathisent. « À la fin de la séance, il m’a donné des sous, beaucoup de sous, j’y croyais pas ! Ce n’est qu’après la séance que j’ai compris qui c’était. L’album (Racine Carrée, NDLR) a explosé, on m’entend sur la chanson « Bâtard« . Quand il est revenu au Sénégal, dans les médias il me remerciait chaque fois. C’est un mec très bien, sincèrement ».
Noumoukan Wilila, la voix de Noumoucounda
Certes, le griot s’est enrichi de toutes ces rencontres, mais à force d’être invité sur le disque des autres, poussé par ses amis musiciens, il finit par s’inviter lui-même et enregistre un premier album personnel, baptisé Faling (2012) où les instruments traditionnels ont la part belle. Certains de ses amis déjà y participent, comme le Congolais Freddy Massamba ou le multi-instrumentiste Fred Hirschy (qui a travaillé avec Tumi Molekane, Daara J ou Awadi). C’est d’ailleurs avec lui qu’il fonde en 2017 le studio (et bientôt le label) Karantaba à Dakar. C’est là que son nouvel album, Noumoukan Wilila, voir le jour. « Sur cet album, c’est nous qui invitons ! » dit Noumou dans un éclat de rire. Ses copains de toujours, les PBS, sont bien sûr de la partie, mais aussi Daara J, ou encore les griots Djiby Dramé, et les griottes Daba Seye, sa nièce Mamy Kanouté, ou sa cousine Gounda Cissokho. Hip-hop et djeliya (l’art des griots) donnent à l’album l’alliage dont est fait Noumoucounda, forgé dans ce nouveau studio dakarois.
Et c’est vrai que les titres du disque lui ressemblent, avec des beats hip-hop qui laissent toute la place aux envolées de la kora, ou à celles des chanteurs qui y font exploser le lyrisme des griots mandingues. La production est faite sur mesure pour « Noumou », et flirte avec ses passions musicales : le très beau Samm par exemple, qui vire au reggae tendance dub. Pour le griot urbain, c’est aussi l’occasion de dire sa part de vérité, en évoquant dans « Mousso » la situation des femmes : « si elles sont devant, ça va pas nous diminuer (nous les hommes), ça nous donnera une autre force. Qu’elles deviennent présidentes ! » mais aussi l’éducation (Samm), ou encore la citoyenneté (Dieuf foly na wakam) : « N’attendons pas tout des politiciens, faisons des choses nous-mêmes, et s’ils se réveillent, tant mieux » martèle-t-il. Il rend aussi hommage aux griots dans la chanson qui donne son nom à l’album, dans laquelle Djiby Dramé chante l’histoire de ses aïeux pour galvaniser Noumou « Mon père me disait des choses, explique-t-il, et bien qu’il n’ait pas beaucoup voyagé, ce qu’il m’a raconté, je l’ai vu en occident. Ici on écrit des livres : nous il faudrait qu’on recueille ce que les vieux qui sont là ont encore comme savoir ». À l’écouter parler, à écouter ce nouvel album, on se rend compte que Noumoucounda n’a rien perdu de sa vocation natale : cette manière de conseiller, d’enseigner, qui est depuis toujours la marque des griots qui oberservent la société dans laquelle ils vivent. Et ça, les machines et la 4G n’y pourront rien changer. Les pieds dans la tradition, la tête dans le progrès, il en a fait ses alliées.